Intervention en commission sur "la mise en application du plan de détention"

Publié le par Fouad Lahssaini

Fouad Lahssaini : Madame la présidente, je voudrais remercier le ministre d'avoir suggéré la semaine dernière la tenue de ce débat en demandant que soient regroupées des questions et interpellations afin que nous participions à une discussion de fond sur sa politique en ce domaine.


Si les données que vous nous livrez ne sont pas neuves, pas plus que les intentions, j'ose espérer que le présent débat permettra que soient prises en considération les préoccupations de certains collègues et que soient revues certaines de vos intentions qui ne nous satisfont pas du tout. Si, sur certains aspects tels que l'amélioration des conditions de détention, nous pouvons vous suivre et vous soutenir, je pense que nous pourrions approfondir le débat.


Comme vous le savez, monsieur le ministre, puisque ce n'est pas la première fois que vous exercez cette charge, deux manières de réfléchir peuvent se développer à propos de la prison. Je qualifierai la première approche de linéaire. Dans cette optique, chaque fois qu'un problème de surpopulation se pose, de nouvelles prisons seront construites. Des chercheurs ayant réfléchi depuis de longues années à la question estiment que chaque fois qu'une prison s'ouvre, elle est automatiquement remplie. La seconde approche se veut davantage systémique. Il s'agit de voir quelle politique adopter en vue de réduire le nombre de délits. Dans cette perspective, le nombre de condamnations et, partant, de places nécessaires dans les prisons pourrait diminuer.


La première méthode est plus spectaculaire et peut-être plus politicienne, car elle permet de répondre à une demande populaire et de réagir à une pression qu'il est parfois difficile de contenir. La seconde s'intéresse plutôt aux moyen et long termes et se fonde sur une préoccupation sociétale beaucoup plus noble. En tout cas, c'est l'approche que mon groupe adopte depuis longtemps.


Quand nous voyons qui se trouve en prison, nous constatons qu'il s'agit de gens issus généralement des couches les plus pauvres du pays – qu'ils soient ou non d'origine belge.
Il s'agit majoritairement de personnes étrangères. De là à dire qu'il y a parfois, voire souvent, une discrimination au niveau des condamnations, il n'y a qu'un pas que je n'hésite pas à franchir D'autres personnes ont souvent relevé ce constat.


En tout cas, tout le monde est unanime pour dire que la prison sert à répondre à des questions auxquelles la société n'arrive pas à apporter de solution. La prison permet de cacher des personnes afin de ne plus les voir perturber l'ordre public. La prison sert à une cause socio-économique plutôt qu'à la sécurité et l'ordre public.

À quoi sert la prison pour nous? Je crois que nous sommes d'accord. Elle sert à réponde à deux préoccupations majeures. Premièrement, protéger la société de tout acte qui porte atteinte à la sécurité des personnes. Pour tout délit, il doit donc y avoir une sanction rapide. Nous sommes tout à fait d'accord sur ce point.

Deuxièmement, la prison doit permettre de détenir les personnes condamnées dans des conditions humaines acceptables.

Les derniers rapports, résultats d'évaluations des conditions de détention en Belgique, pointent du doigt la Belgique car elle enfreint un certain nombre de règles internationales. Je pense qu'il est urgent de travailler pour améliorer les conditions de détention des personnes condamnées.

La troisième préoccupation est souvent négligée: les personnes détenues se retrouvent un jour dans la société. Le principal objectif de la prison doit être aussi de préparer la réinsertion des personnes condamnées. Ainsi, on rejoint la première préoccupation qui est de protéger la société.

J'espère que ces trois préoccupations seront les vôtres. Je sais que par le passé, quand vous étiez déjà ministre de la Justice, vous les aviez intégrées dans votre programme.


Je partage votre souci d'atteindre l'objectif d'avoir une cellule pour chaque détenu. C'est aussi une façon de se soumettre au droit international et de répondre aux critiques émises il n'y a pas longtemps, en permettant aux détenus, une fois qu'ils sont en détention, de ne plus retourner leur colère vis-à-vis de la société mais de préparer et réfléchir à la sanction, au délit qu'ils ont commis et de préparer leur réinsertion.

À la préoccupation "un détenu, une cellule", je pense qu'il faut aussi en ajouter d'autres, comme par exemple le nombre de surveillants.


Est-il suffisant pour leur permettre d'accomplir leur travail et d'assumer leur fonction d'encadrement? C'est important pour permettre aux détenus d'entretenir des relations plus humaines entre eux afin que la détention ne se cantonne pas à constituer un lieu de répression quotidienne, faisant ainsi croître la colère des détenus à chaque nouvel arrivant. Quand les surveillants sont débordés par leur tâche, ils délaissent leurs fonctions pour devenir des agents de répression plutôt que de contrôle.


Ensuite, l'encadrement psychosocial: l'objectif de réinsertion suppose prioritairement la mise à disposition des détenus de suffisamment d'acteurs psychosociaux chargés de les aider, de les sensibiliser à la question des formations, de leur permettre de trouver du travail ou de garder des liens adéquats avec le monde extérieur.

J'attire encore votre attention sur d'autres préoccupations, monsieur le ministre. La surpopulation carcérale entraîne automatiquement une diminution du nombre d'emplois à présenter aux détenus, ce qui augmente les tensions avec les surveillants et l'administration pénitentiaire, jusqu'à les rendre conflictuelles.


Vous le savez mieux que moi, la prison doit rester une mesure ultime, une réponse de dernière ligne aux délinquances. Il existe une panoplie d'autres mesures à mettre en place, des mesures alternatives permettant de garder son caractère extrême à la sanction d'emprisonnement. C'est ainsi qu'on lui rendra son caractère de retrait, d'exclusion d'un individu de la société afin de lui permettre de réfléchir à son acte.

J'attire donc votre attention sur ces mesures alternatives, que vous avez lancées il y a quelques années: non seulement elles ont perdu en termes de moyens, mais elles n'ont pas été suivies adéquatement par vos successeurs.


Enfin, pour répondre à la question de savoir s'il faut augmenter le nombre de places, comme signalé par mes collègues, il s'agirait de déterminer les objectifs de la peine d'emprisonnement. Si la prison sert, outre à sanctionner, à préparer le détenu à se réinsérer dans la société, elle ne permettra pas aux toxicomanes de réussir cette réinsertion.

Elle ne leur apporte pas l'encadrement adéquat. Les surveillants de prisons ne sont pas des travailleurs sociaux à même d'apporter des réponses aux toxicomanes. La prison ne permet pas d'encadrer les délinquants sexuels. Elle ne permet pas d'encadrer certains psychopathes. Elle ne permet pas d'encadrer les internés psychiatriques. Voilà quelques profils pour lesquels la prison n'est pas préparée et ne peut apporter de réponses adéquates.

À propos de la détention préventive, d'autres collègues en ont parlé, on sait qu'elle représente 40% des places occupées. C'est interpellant quand on réfléchit à la question du nombre de places disponibles. Et je crois qu'il faudrait aussi réfléchir à la question de la détention administrative.


Monsieur le ministre, je voulais attirer votre attention sur ces quelques éléments.


Je voudrais encore insister sur un élément particulier. Un des outils, que vous aviez initié, qui avait pour objectif de responsabiliser le détenu afin de l'inscrire dans un processus de prise en charge de sa propre détention, était la loi dite Dupont ou loi de principe. C'était une émanation de la commission d'experts chargée en 1996, à votre initiative, d'élaborer ce projet de loi paru au Moniteur belge le 1er février 2005. Ce texte définit le statut juridique des détenus ainsi que les règles d'administration des établissements pénitentiaires. Il évoque entre autres l'élaboration d'un plan de détention pour les détenus, plan qui prévoit de leur donner du travail, des loisirs, un suivi psychosocial et des formations. Il énonce que chaque établissement pénitentiaire doit disposer d'un règlement d'ordre intérieur. Or, il n'est un secret pour personne que cette loi n'est pas d'application.

Madame Berendorf, de l'administration pénitentiaire, a elle-même évoqué lors d'une réunion à Namur concernant le plan de détention, le 20 novembre 2008, qu'il était actuellement impossible d'appliquer la loi de principe.

Je la cite: "Le plan de détention n'est pas pour 2008, n'est pas pour 2009. Peut-être sera-t-il pour 2010?"

De même, toutes les prisons ne disposent pas aujourd'hui d'un règlement d'ordre intérieur.

Ce règlement organisant la vie quotidienne à l’intérieur des prisons - les visites et tous les contacts avec le monde extérieur - devrait être divisé en deux parties: une partie générale commune à tous les établissements pénitentiaires et une partie propre à chaque établissement; mais il fait défaut aujourd’hui dans la plupart des établissements.


Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure d’identifier aujourd’hui ce qui bloque le processus et empêche la mise  sur pied du plan de détention et la rédaction de ces règlements d'ordre intérieur?


Dans la mesure du possible, que comptez-vous entreprendre afin de faire avancer les choses dans ce domaine?

 

 

Commission de la Justice

mercredi 28 janvier 2009

Publié dans Parlement

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