Le problème c'est la solution
Comment réussir à échouer ? Dit Paul Watzlawick, c’est simple.
A chaque problème il suffit de trouver l’ultrasolution. Qu’est-ce qu’une ultrasolution ? « Une solution qui se débarrasse non seulement du problème, mais aussi de tout le reste, un peu comparable à cette vieille plaisanterie de carabin : opération réussie, patient décédé »
Ainsi en est-il de la décision d’ouvrir un centre fermé pour « délinquants mineurs » Certes, cette « solution » permettrait d’enfermer des jeunes à partir de 14 ans et ainsi faire taire (pour un temps seulement) les demandes des juges et une grande partie des médias en recherche de scoops. Mais, par son coût, sans parler de son inefficacité, cette solution expédiera aux calendre grecques toute analyse pour trouver les vraies réponses aux causes de la délinquance : si l’enfermement était une solution les adultes le sauraient depuis belle lurette.
Mais ce qui est encore plus inquiétant c’est que l’entrée par la porte de l’insécurité, avec son lot d’ultrasolutions, est devenue prioritaire et incontournable dans l’agenda politique, à tous les niveaux de pouvoir.
Le politique (dont je fais partie), les médias et les institutions bureaucratiques (justice, police,…) trois niveaux dont l’articulation, les transformations et interdépendance, plus au moins coordonnées, sont nécessaires pour que la politique sécuritaire devient une priorité même pour les partis progressistes et de/ou de gauche.
S’il est vrai que les médias peuvent dicter l’agenda politique, l’inverse est aussi vrai et ce qui vaut pour ces deux champs vaut également pour le troisième(les institutions telles que les administrations liées à la sécurité, la Justice,…). L’exemple du centre fermé pour « mineurs délinquants » est à ce sujet exemplatif.
La construction médiatique :
les journalistes n’inventent pas l’actualité mais ils ont un double pouvoir de choisir ce dont ils parlent et la manière de la faire.
Manifestement la logique commerciale dans le choix de l’événement scoop, conjugué aux contraintes de l’exercice du métier (brièveté des délais) l’emportent et induisent des effets de dramatisation et la mise en scène des faits les plus spectaculaires. Par sa force cette logique a fini par s’imposer comme LA source d’information et imposer un « sens commun » qui renvoi à d’autres « lieux communs » construits tout aussi superficiellement : chômage, immigration, jeunes, …A ce construit s’ajoute l’effet d’annonce produit par les statistiques policières et relayées d’autant plus médiatiquement qu’elles affichent des augmentations ou des changements dans le type de comportement. De ce fait, ce qui était singulier et individuel devient collectif et renvoi à une série de représentations, provoquant « mise au point » et « controverse » où des « experts » et « témoins » débattent avec les politiques et où les lieux communs dictent les solutions et remèdes.
Pourtant, pour ce qui est devenu commun d’appeler « délinquance juvénile », l’INCC (Institut national de criminalistique et de criminologie) est formel : la délinquance des mineurs est en baisse constante depuis 1994 et ce sur base des chiffres du parquet, de 1980 à 1999 ! De plus, les jeunes délinquants sont de plus en plus âgés, comme ils sont de moins en moins nombreux à être placés en prison. A ce propos, il est aussi apparu que le recours à la prison serait en augmentation dans la région flamande et en diminution du côté francophone, alors qu’il y a plus de places fermées, IPPJ, au Nord du pays : 70 en Communauté flamande et 50 aujourd’hui en Communauté française (Doc. Parlement, Sénat session 1998-1999.) !
La construction bureaucratique:
Cette construction est certes dépendante du choix politique mais son impact en retour sur ce dernier n’est pas négligeable.
Par le durcissement du discours et de la pratique, la police et la justice (parquets) imposent au politique des réponses à suivre : annonce de relâcher des « délinquants dangereux dans l’espace public », interventions musclées et discrimination de la police vis-à-vis des certains jeunes, sont des pratiques qui envoient des messages pour dénoncer la politique d’impunité dont bénéficieraient ces mêmes jeunes face aux fonctions régaliennes de l’Etat.
En retour, ces institutions se voient accorder des possibilités et des dispositifs nouveaux : snelrecht, Maisons de justice, contrats de sécurité, programme de lutte contre les bandes urbaines, police de proximité (dont la seule fonction définie à ce jour est la récolte d’information dans les « quartiers à risque »), réorientation de la mission de l’école autour du « maintien de l’ordre » avec protocole de signalement aux parquets, …
Pour ce qui est des places fermées pour « mineurs délinquants », à aucun moment les juges de la Jeunesse n’ont remis en question les pratiques et méthodes expéditives de placement de certains d’entre- eux.
Pourtant, ils devraient être les premiers à savoir que si la réponse est d’ouvrir d’autres centres fermés, en plus des IPPJ existants c’est que l’on s’inscrit pleinement dans l’observation de la pénologie selon laquelle une prison qui s’ouvre se rempli aussitôt, indépendamment des besoins.
La construction politique:
Initialement de « droite » et d’extrême droite, la thématique sécuritaire est progressivement adoptée depuis 1992, par la gauche (PS-SP) des gouvernements, appelant à durcir le discours sur l’immigration et l’insécurité. L’objectif, nous dit-on, est de reconquérir les votes « populaires » reportés sur l’extrême droite. Ainsi, après s’être réconciliée avec le marché et l’entreprise, cette gauche se réconcilie avec la sécurité en transformant des idées « de droite » en idées « neuves et progressistes »
- paternalisme répressif et accusation des parents « démissionnaires »,
- soutien aux familles populaires étant « les premières victimes » de la délinquance, « l’insécurité frappe d’abord les plus faibles, les plus âgés et les plus démunis de nos concitoyens » (voir « esprit frappeur » Punir quelle insécurité)
Face à ce discours, Ecolo se veut d’abord un acteur politique capable de démonter ces mécanismes issus de la pensée unique, en dénonçant les simplismes idéologiques et en intégrant la complexité dans des réponses politiques progressistes. Notre participation aux gouvernements nous ayant rapproché du pouvoir aujourd’hui devrait-elle nous engluer dans ces construits social, politique et idéologique ?
En fait, la multiplication des mesures basées, idéologiquement sur « des lieux communs », ( pour détenus de droit commun) est à chercher du côté de la définition des missions de l’Etat qui ne cesse d’étendre son action pénale parallèlement à son retrait du champ économique « l’Etat-providence se devrait désormais de maigrir puis de servir envers ses ouailles dissipées et d’élever « la sécurité » définie étroitement en termes physiques et non en termes de risque de vie (salariale, sociale, médicale, éducative, etc.), au rang de priorité de l’action publique » Loïc Wacquant, in, les prisons de la misère, 1999.
Le centre fermé pour mineurs délinquants est une ultrasolution.
Octobre 2000
Fouad Lahssaini.
Député bruxellois et communautaire.